lundi 8 février 2010

L’insalubrité dans la Médina de Tanger

(Publié dans Espace au pluriel/ bulletin d’information n°2 //octobre2002)

Parler d’insalubrité amène automatiquement le commun des mortels à penser aux groupements d’habitations spontanées et anarchiques, situés aux abords des villes ou dans des poches, plus aux moins grandes, à l’intérieur de l’espace urbain.

Ce n’est qu’en deuxième lecture, plus rapprochée , qu’on découvre les mêmes symptômes au cœur des agglomérations, et plus grave, dans des tissus qualifiés d’ historiques .

C’est fait, le mot est lancé . La qualité historique d’un lieu lui confère, dans le monde entier, une valeur ajoutée et une spécificité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Et c’est pour ces mêmes raisons que les pouvoirs publics ont porté une attention particulière à la préservation et à la mise en valeur des espaces historiques comme berceaux de la culture locale ou nationale.

Pour en revenir au cas de Tanger, et spécialement le tissu historique de ‘’ la madina al atika’’ , le simple visiteur peut relever de nombreux aspects de dégradation et de décadence de cet espace particulier. Cela ne veut pas dire qu’aucune intervention de requalification de ce tissu n’a jamais été faite, mais paradoxalement, c’est l’anarchie et l’incohérence des interventions quotidiennes qui dénaturent ou détruisent cet espace.

La grande responsabilité en incombe à l’utilisateur qui pratique cet espace dans son vécu quotidien.

Comment ? et où se situe l’insalubrité dans tous cela ?

Les réponses à ces questions se lisent dans les ruelles de la madina al atika et à l’intérieur des habitations. A densité croissante, correspond une demande parallèle en espaces :

- Pour l’habitant, la réponse la plus simple pour résoudre à ce problème est l’extension en hauteur, par le rajout de pièces voir des niveaux entiers , le morcellement et la subdivision de la parcelle ou de l’unité d’habitation, jusqu’au confinement maximal d’une famille par chambre.

- La transformation des pièces en façade du RDC en boutiques et ateliers.

- Le réaménagement, à tort et à travers, des espaces intérieurs.

- La « révision » des façades par des apports et rajouts inutiles , voir même de mauvais goût…etc.

- Au niveau des espaces publics et de circulation , la profusion des portes et rideaux

métalliques, des auvents en plastic ou en tôle ondulée et des carreaux de faïence ( pour

salles de bain ) placardés en façades des portes et boutiques, dénaturent cet environnement urbain intra-muros.

- De nouveaux arrivants , en majorité d’origine européenne , attirés par le mode de vie dans une madina atika et l’architecture traditionnelle , acquièrent de plus en plus de demeures à l’intérieur de ce tissu . Toute fois , ils éprouvent un sentiment d’insécurité qui se traduit sur le terrain par l’appropriation abusive de portions de ruelles , en général des impasses, au moyen de grilles métalliques les séparant du reste de l’espace public.

Encore plus frappant , des grilles métalliques sont montées aux devants des portes traditionnelles en bois, dans les entrées des demeures acquises par ces derniers.

Résultat de cette cacophonie, un espace qui de part sa nature, sa genèse, sa morphologie et son vécu , présentait tous les ingrédients d’un espace convivial , unique., spécifique et extrêmement organisé , bascule sans crier garde , dans une confusion croissante voir généralisées.

Il va sans dire que le reflet de ses changements se traduit immédiatement sur la structure et la composition sociale de la population de la madina al atika .

On en arrive à la question qui fait mal, à savoir quel rôle jouent les représentants de la population , l’administration et les pouvoirs publics ?

Comment peut on justifier une telle situation ?

Même si les textes et les législations en vigueur sont en phase réactualisation , force est de constater qu’en pratique, l’essentiel des infractions relevées consistent en un détournent pur et simple des autorisations fournies par l’administration elle même.

Les cas les plus fréquents consistent en l’obtention d’une autorisation pour l’exécution de simples travaux d’entretien et réparation (chaulage, carrelage intérieur ,…) généralement désignés sous la rubrique de menus travaux , pour faire usage de cette même autorisation pour reconstruire partiellement ou totalement des demeures entières ou des boutiques, en toute illégalité et au su et au vu de tout le monde.

Certains en sont même arrivés à porter atteinte à plusieurs monuments historiques, notamment par des occupations et des surélévations sur les tours et les remparts historiques classés, voir même la destruction de portions de ceux ci en plusieurs endroits, en toute ‘’quiétude ‘’ .

Après tout cela , on est amené à poser la fameuse question : à qui profite le crime ? car nul doute s’en est un ; et le comble , perpétré à l’encontre d’un patrimoine culturel national de premier ordre .

De plus , cette situation s’apparente à la fameuse histoire de celui qui tue de ses propres mains la poule aux œufs d’or . Car au lieu de préserver et d’exploiter intelligemment un espace prometteur pour le développement du tourisme culturel , du commerce et des services , on s’acharne , chacun de son coté , à l’anéantir.

Quels remèdes :

- Si l’automédication est de conseillée dans le domaine de la santé publique , il doit en être de même dans la madina al atika . En pratique toute intervention dans ce tissu historique doit impérativement être tributaire d’ un passage obligé par les hommes de l’art (architectes, ingénieurs ,archéologues ,…) quelle que soit la nature des travaux.

- Un contrôle de réception et de conformité des travaux effectués devra être aussi

instauré .

- Exercer un contrôle, plus serré , sur les conditions hygiéniques et de salubrité dans les habitations , par une intervention sur les contrats de location , les autorisations de construction, les branchements aux réseaux viaires , et les autorisations administratives .

- Responsabiliser les propriétaires des habitations taudifiées , délabrées et / ou qui

menacent ruine .

- Et pour finir sur une note optimiste, activer et faciliter les procédures financières à même de faire profiter l’ensemble de ce tissu de l’exonération de la TVA en qualité de tissu historique et non pas uniquement les monuments historiques classés ( arrêté n° 2.94.725 du 31/12/1994 en complément de l’arrêté n°2.86.99 du 14/03/1986 pour l’application de la loi n° 30.85 sur la TVA) .

cela se traduira en pratique par une subvention publique équivalente à 14 °/° sur les travaux de restauration et de réhabilitation , et à 20°/° sur le montant des études techniques.

Mr OUZGANE TAOUFIQ

Architecte restaurateur

INSPECTEUR REGIONAL DES MONUMENTS

HISTORIQUES ET SITES / Tanger Tétouan